J'ai vomi dans mes corn-flakes [Nemo]

Eloi avait voleté de façon euphorique toute la matinée dans tout les arrondissements de Paris, parlant à des groupes d'étudiants, refaisant le monde avec des vieux dans des bars, achetant des cigarettes rigolotes, rencontrant des filles, les embrassant et esquivant leurs baffes avant de s'en aller en courant et en riant énormément. Et maintenant qu'il était deux heures, c'est-a-dire l'heure la plus ennuyeuse de la journée, il ne savait plus très bien où aller. Il se retrouva finalement dans un bar du quatorzième, assis comme un con à la terrasse. Il se rendit compte qu'il crevait de faim, et commanda donc un croque monsieur avec une salade et un grand verre de Coca, après s'être vu refuser une bière parce que ce n'était pas très correct, et 'imaginez ce que vos parents diraient', et blabla. Il ne savait même pas où il trouvait tout l'argent qu'il avait dans sa poche, mais, et c'était merveilleux, il avait toujours quelque chose, et largement pour s'acheter de quoi manger de façon tout a fait correcte, et même de façon copieuse. Et pourtant, il avait quand même du reste pour acheter du cannabis, de se payer des verres, etc, etc.

Il dégusta le croque monsieur avec la salade noyée dans la sauce avec un plaisir évident. Pour lui, la véritable bouffe, la meilleure au monde, encore meilleure que celle de sa mère, était celle des petites brasseries parisiennes. Une fois qu'il eut fini et qu'un serveur eut prit son assiette, il commanda un café, et s'alluma une cigarette rigolote. A cette époque, peu de gens s'en préoccupaient. Il eut un long soupir d'aise, et se mit à tapoter un rythme du bout des doigts sur la table. Il n'attendait rien ni personne de précis, il connaissait peu de personne qui n'étaient pas au lycée à cette heure-là, et il était fatigué de parler avec des imbéciles de révolutionnaires qui ne croyaient pas bien en ce qu'ils disaient.

Mais qu'est-ce qu'il allait faire de lui-même? Révolutionnaire, ce ne serait jamais un métier, et c'était la seule chose qu'il était capable de faire. Il serra les dents, et eut un long soupir, mais ce n'était plus un soupir d'aise. Et merde, les Beatles avaient raison: Living is easy with eyes closed, misunderstanding all you see.

Peu importait ce qu'il avait fait la veille au soir, et pendant ce qui était censé être sa nit de sommeil, Nemo était rentré chez lui vers cinq heures du matin. Probablement ivre mort, mais il ne s'en souvenait plus. Ce qui en disait long sur son état d'ébriété de la veille. Avait dormi à plat ventre, tout habillé, par dessus les draps non défaits jusqu'à midi trente-deux, heure à laquelle Victoire, teigne qu'elle était, du haut de ses huit ans, vienne lui chatouiller l'intérieur des oreilles avec une plume de paon, trouvée au zoo. Avait grogné, tel un our tiré de son hibernation, et ne trouvant pas le courage de gueuler ou d'attrapper la gamine par la culotte pour la pendre au lustre du salon, Nemo s'était traîné jusqu'à la salle de bains où il avait eu la brillante idée de se laver les cheveux.
Propre et réveillé, avec tout de même un mal de tête un peu persistant, Nemo s'était installé au piano, clope au bec, avant de se rendre compte, au bout d'un petit quart d'heure, qu'il ne jouait rien. Pas une seule note. Il planait, phasait devant le clavier. Et décida alors d'aller prendre l'air.

Le soleil caressait les visages et le vent soulevait les jupes. L'ambiance, le temps, et sa condition de jeune homme libre collaient ensemble un sourire sur le visage de Nemo. Des étudiante studieuses, livres scolaires serrés contre leurs coeurs, tournaient la tête sur le passage du jeune homme, et gloussaient en groupe quand il leur rendait un regard charmeur. C'était dingue, ce qu'il pouvait s'amuser avec les filles. Cette réflexion l'amena à penser à Eloi. Un autre, qui s'amusait, dans la rue, à embrasser au hasard une jolie proie avant de courir, jeune effronté, en chercher une plus belle. Comme il pensait à son ami, et que le hasard fait bien les choses (sauf lorsqu'il se trompe et sème des roses fanées au coeur des deux solitudes de Bill et sa copine), Nemo passa devant le troquet auquel était attablé Eloi. Avec un sourire moqueur, le jeune homme s'empara du verre de soda.

Quelle est la proportion de rhum, là-dedans, jeune homme?

» Mon nom est personne - Nemo Ferret Robincourt
» Eloi Maddon - J'ai vécu comme dans un songe, et quand on m'embrassait ça me donnait envie de rire.